J’en peux plus…

Je comprends pas. Pourtant, j’ai tout fait comme on m’a dit. Depuis mars 2020, je me lave soigneusement les mains, je ne mets plus de vernis, ça tient pas. Je porte mon masque dès que je croise du monde. D’ailleurs, du monde, j’en vois pratiquement plus, à part mon mari et mes filles. Mes parents aussi, que je n’ai ni embrassés ni serrés dans mes bras depuis plus d’un an, alors que dans la famille, on est plutôt du genre tactile.

Je comprends pas pourquoi ni comment on est revenu à la case départ. N’allez pas croire que je me plains, je suis juste fatiguée d’être en mode boulot-dodo depuis tout ce temps. Je sais qu’il y des gens qui meurent, des soignants qui sont au bout du rouleau et ça m’attriste profondément. Je sais la chance que j’ai : je vais bien, ma famille est en bonne santé, et en plus, j’ai du boulot. Mais j’en peux plus et je ne suis pas la seule.

En temps normal, ça ne me dérange pas de voir personne de la journée, je suis plutôt une solitaire, ça me va bien car je l’ai choisi. Mais les cours en visio, je sature. Imaginez un peu, j’ai deux groupes d’étudiants que je n’aurai jamais vus en vrai. Je ne connais pas l’expression de leur visage, leur façon de se tenir. Et oui, ils n’aiment pas mettre la caméra, alors je parle à des vignettes. Je veux à nouveau râler parce que je mets une demi-heure à trouver une place pour me garer quand j’ai cours à l’Iscom. Je veux à nouveau entendre les étudiants ponctuer toutes leurs phrases de "du coup" quand ils passent à l’oral. Promis, je ne vous corrigerai même pas.

Parce que si moi, j’en peux plus, eux c’est pire. Plus de soirées, plus de concerts, toutes ces petites choses pas essentielles qui te font te sentir vivant, surtout à 20 ans. Comme eux, je veux juste boire un verre, sans regarder l’heure. Je veux parler à des gens, des vrais, des êtres humains en chair et en os. J’ai l’impression d’être Bill Murray dans "Un jour sans fin", sauf que lui au moins, il nous faisait bien marrer.

J’en peux plus, et si ça continue, on va tous devenir barges.