12 Septembre 2015
Oui je sais, j’ai choisi la facilité avec ce titre. Mais c’était trop beau : écrire dans la même phrase un nom bien français et juste à côté "immigrés illégaux" ! Vous l’avez compris, Courtais, c’est mon nom d’épouse. Mon nom de jeune fille, c’est Lagorio. Je ne me souviens pas de tous les détails de l’histoire que je vais vous raconter. Ma grand-mère maternelle nous a quittés il y a 8 ans et ma grand-mère paternelle en 1990. Mais je me rappelle ce qu’elles me disaient quand j’étais petite...
Marina et Emilio Lagorio habitaient un petit village du Piémont au nord de l’Italie, une région montagneuse et agricole. Ils possédaient des terres qu’ils cultivaient. Ils travaillaient dur mais avaient une vie relativement confortable pour l’époque. Ils ont du quitter leur pays avant 1930 pour fuir le régime de Mussolini qui peu à peu prenait le pouvoir. Ils avaient déjà une fille, Giovanna, et ma grand-mère était enceinte de mon oncle, Alberto. Ils sont partis en laissant tout derrière eux, à pieds, à travers les montagnes. Dans leur village, on leur avait dit d’aller dans les Cévennes, là-bas il y avait du travail. Alors ils ont marché jusqu’au Pradel à côté d’Alès.
Pendant ce temps-là, la famille Preti était déjà installée dans l’est de la France depuis quelques années. La petite Pierrina devait avoir 10 ans. Ses frères, plus âgés, avaient trouvé du travail à la mine. Mais les compagnies commençaient à fermer. Alors, ils sont repartis, direction le Midi où il y avait de l’embauche. 1933 : Pierrina a 17 ans. La famille Lagorio s’est agrandie avec l’arrivée d’Antonieta. Emilio travaille comme mineur de fond et Marina vit de ses talents de couturière. Ils étaient arrivés sans parler un mot de français. La grand-mère essayait de faire des efforts. Elle m’a raconté des dizaines de fois cette anecdote : on lui avait conseillé de s’adresser à une certaine Madame Laceïte pour trouver ce qu’il lui fallait pour la maison. La voici qui demande "Laceïte, Laceïte ???". "Vous voulez des assiettes ?". Dialogue de sourds, la pauvre était désespérée de ne pas se faire comprendre. Pour le grand-père, c’était encore plus dur. Au fond de la mine, il n’entendait pas parler français mais... Italien. Ca ne le dépaysait pas trop, c’est sûr. Mais ça ne l’aidait pas à enrichir son vocabulaire.
De nouvelles racines...
Il n’a jamais vraiment bien maitrisé le français. Quand il me parlait, je demandais à mes parents de me traduire. Je crois qu’ils ont demandé à se faire naturaliser assez rapidement. Marina est devenue Marie et Emilio, Emile. Chez les Preti, Pierrina était devenue Pierrine. La guerre approchait, mais c’était encore une jeune fille insouciante, qui aimait aller au bal accompagnée de ses frères. C’est là qu’elle a rencontré un certain Pierre Alteirac, mon grand-père, le seul français. En 1939 naissait leur fille Mireille. En 1940, surprise chez les Lagorio avec l’arrivée d’Armand, le petit dernier.
Pépé Emile a été mineur de fond toute sa vie. Il a profité longtemps de sa retraite malgré la silicose et d’autres maladies. C’était un solide gaillard des montagnes. Mémée Marie qui était née le 9 juillet 1899 (soit exactement 72 ans avant moi), est partie en 1990. Je la revois encore préparer les gnocchi : il y en avait partout sur la table de la cuisine. Mémée Pierrine nous a quittés en 2007, elle était née en Italie et était arrivée dans l’est à l’âge de 2 ans. Elle a toujours gardé son accent "pointu" comme on dit ici, je vous dis pas les contrastes ! Je ne les ai jamais entendus se plaindre ou regretter quoi que ce soit. En arrivant en France, les Lagorio comme les Preti ne voulaient qu’une chose : reconstruire leur vie, donner de nouvelles racines à leurs enfants, travailler pour gagner dignement leur vie. Le rêve de mon grand-père était que son fils rentre à EDF, symbole à ses yeux de l’excellence et de l’intégration. Bon, il ne l’a pas écouté mais c’est une autre histoire.
Je pourrais vous parler d’eux pendant des heures. A force d’écrire, les souvenirs me reviennent. Mais je vais m’arrêter là. Cet été, on est parti quelques jours à Milan. Sur la route, on a surplombé la Méditerranée, Vintimille, en dessous de nous, des immigrés sur les plages. Et un peu plus loin, j’ai vu le panneau "Acqui Terme", berceau des Lagorio. Je savais que "Borgomanéro" était tout près, berceau des Preti. Et même si aujourd’hui, je ne parle pratiquement pas italien, j’avais l’impression d’être un peu de retour chez moi.